Ode à l’amour 6/6

Nov 30, 2024

« Et voilà que cette nuit-là, toute menace est conjurée. Ils dorment auprès de toi ! Ton père et ta mère. Ils ont transporté ton matelas près de leur lit parce que tu es malade. Cette bénédiction ! Comme une barque accotée à un grand voilier, tu oscilles doucement dans le roulis de leur sommeil. Tu ne dois surtout pas dormir ! dit une voix. Goûte cette nuit ! Inscris-la à tout jamais dans ta mémoire. C’est la nuit de la transmission. Tu ignores de quoi. Sans cette transmission de tu ignores quoi, tu resterais à tout jamais creux et vide. Quelque chose est en train de passer qui donnera à ta vie son sang, son sens. Ils dorment. Eux qui voulaient veiller sur toi dorment. Et c’est toi qui veilles sur tes parents endormis. Tu les entends respirer […] et leur souffle tisse un invisible cocon protecteur à ce vermisseau que tu es dans la blancheur bien tirée du drap dont n’émergent que deux yeux grands ouverts. Tu te gardes de bouger. Cette nuit-là, tout est à sa place sur cette terre. Tu ne veux surtout rien déranger, et tu retiens ton souffle. […] Ils sont grands quand ils dorment, les parents. Ils redeviennent roi et reine comme ils l’étaient au tout début. Ils n’ont plus besoin de justifier leur existence en travaillant, en faisant la cuisine, en t’aidant à faire tes devoirs, en se souciant de l’avenir. Ils n’ont plus besoin de rien. Il n’y a plus de temps, plus de lieu. Toute image a fondu : ils sont. Ils sont remparts contre l’abîme des nuits. Ils respirent. Et tu sais que tu es sauvé. Et que même si tu devais mourir cette nuit, tu es sauvé. »

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